Le musée d'art contemporain de Berlin "HAMBURGER BANHOF", "Do it Yourself" et la collection FLICK
Une ancienne gare rénovée, se métamorphose en musée d'art contemporain, le HAMBURGER BANHOF, voilà qui nous rapelle quelque chose.
Deux ailes sont normalement consacrées à Joseph Beuys, mais jusqu'en 2011 le musée accueille la très controversée collection FLICK.
Mais commençons par le début :
Première salle et premier étonnement. On ne m'avait pas dit qu'il y avait une expo temporaire sur Warhol !?!
Tentative de dialogue assez vain avec les autochtones, aucun gardien de salle ne parlant anglais (même à l'accueil des musées, il est difficile de trouver un anglophone ! (même le catalogue du musée n'existe pas en anglais !!)). On finira tout de même par comprendre qu'il s'agit de l'exposition "Do it yourself" (titre d'une oeuvre de Warhol) et que les travaux ici présentés proviennent de la collection d'Eric Marx. Très impressionnant ! On comprend mieux pourquoi Beaubourg est si pauvre en Warhol !
Je n'avais jamais remarqué à quel point les dessins de Warhol ressemblaient à ceux de Cocteau :
La salle suivante est-elle entièrement consacrée à Donald Judd.
"La qualité essentielle des formes géométriques vient de ce qu'elles ne sont pas organiques, à la différence de toute autre forme dite artistique." D. Judd 1967
Toute l'oeuvre de Judd tourne autour de ces "objets spécifiques" qui ne proposent rien d'autre qu'eux mêmes. Un tableau (à part les monochromes) ou une sculpture, représente toujours quelque chose. Ses boîtes aux matériaux et couleurs industriels, dénoncent ce qui posait problème à l'auteur à ses débuts : l'illusion qu'entretient la peinture d'être sans support ou, l'illusion qu'entretient ce support (le tableau) d'être exempt de troisième dimension.
"Do it yourself" est une rétrospective de l'art des années 60-70, tournant autour de l'idée que le spectateur doit finir l'oeuvre par son regard critique. (Voir la théorie de Duchamp à ce sujet : qu'est-ce qui fait l'oeuvre d'art ?). Donald Judd semble effecivement un choix fort judicieux !
Encore une salle dans cette expo, mais je n'ai pas de photos. D'après la plaquette, des oeuvres de Rauschenberg, Lichtenstein, Twombly...
Nous pénétrons maintenant dans le hall principal de la gare, constitué d'oeuvres monumentales.
Tout d'abord "Recensement" d'Anselm Kiefer.
J'aime beaucoup, donc plein de photos !
Anselm Kiefer a beaucoup travaillé sur la mémoire et principalement sur une interrogation classique pour les artistes de son époque, comment créer après la Shoah, surtout si l'on est allemand ? (il a aussi énormément travaillé à partir de la mythologie allemande)
Kiefer est avant tout un peintre, mais vous pouvez voir ici deux sculptures en plomb, provenant de la destruction de la toiture de la cathédrale de Cologne. Le plomb est non seulement un métal lourd (donc symboliquement chargé d'histoire) mais il est aussi associé à Saturne (alchimie, saturnisme), dieu de la fertilité agraire. Voilà peut-être la raison de ces étranges "grains de maïs" oranges (voir la photo en bas à gauche) dont je ne sais exactement ce qu'ils sont, ni ne font là. Je suppose qu'il faut y voir le symbole d'une vie toujours possible dans un contexte de repos éternel. La bibliothèque d'ouvrages de rencensement en plomb représentant la mort, le côté figé et définitif, et les graines oranges, le côté de la vie toujours prêt à surgir, même d'une terre en jachère. J'y vois une métaphore possible de la relation de l'Allemagne avec les juifs après la Shoah (les livres recensant le nom des morts, les grains symbolisant la vie qui malgré tout continue). Saturne est par ailleurs la planète de la mélancolie : "Il est morne il est taciturne, il préside aux choses du temps, il porte un joli nom Saturne, mais c'est un dieu fort inquiétant" G. Brassens.
Puis le "Cercle de Berlin" de Richard Long :
Richard Long est un des papes du Land Art.
Rendu célèbre en 1967 par "A line made by
walking", il a eu l'idée révolutionnaire de faire
de la sculpture en marchant. Il s'est par la suite
orienté vers des oeuvres moins éphémères,
notamment des cercles de pierre.
Je crois que le "cercle de Berlin" est une commande du musée.
La deuxième sculpture en plomb d'Anselm Kiefer, (Impossible de retrouver le nom, si quelqu'un sait...) est une oeuvre aussi chargée de symbole que la précédente. L'avion de chasse risque d'avoir beaucoup de mal à décoller (malgré ses 6 réacteurs !!!) puisqu'il est littéralement plombé par des livres, symboles de mémoire, qui appuient sur ses ailes. Au fond vous pouvez apercevoir un tableau de Kiefer (toujours en plomb).
Nous sortons de l'immense gallerie aux voutes métalliques, pour entrer dans le non moins immense bâtiment consacré à la collection Flick.
Un petit mot incontournable sur la famille Flick, riches industriels allemands, le grand-père a été condamné à 7 ans de prison par le tribunal de Nuremberg. L'origine de la fortune ayant servi à l'achat de ces oeuvres est donc pour le moins problématique. De nombreuses villes ont refusé d'accueillir l'exposition, d'autant plus que le petit-fils (actuel chef de famille qui vit en Suisse) a refusé de participer au fond d'indemnisation des travailleurs forcés sous le nazisme. Ben oui, mais sinon après, il a plus assez de sous pour s'acheter le dernier Jeff Koons à 3 millions de Dollars.... Faut le comprendre, pauv' biquet !
Le sujet étant sensible en Allemagne, plus
qu'ailleurs, l'exposition a donné lieu à de
vives protestations !
Entrons tout de même vérifier s'il a bien dépensé cet argent...
Au mur, des dizaines de toiles de l'artiste Jean-Frédéric Schnyder (toutes 30 X 42). Une impressionnante série de "salles d'attente", dans ce qui ressemble à ... une salle d'attente. Et sur la dernière, tout au bout de la gallerie, il a juste peint le mot "END".
Une installation d'Urs Fischer, "What if the phone rings ?"
En voilà une bonne question ! A défaut d'avoir la réponse on sait déjà ce qui se passe si on allume les bougies (les 2 photos de droite proviennent de l'expo, celle de gauche de son atelier)
Ceux qui achètent une de ses oeuvres, auront la satisfaction d'apprendre qu'il existe une option permettant le rachat de le même sculpture pour le simple prix de la fabrication. Puisque évidemment, chaque sculpture de parafine est destinée à fondre comme une bougie. La création étant le résultat final, jamais identique.
D'autres oeuvres d'Urs Fischer, qui n'est pas que plasticien mais aussi peintre.
Les chaises sont omni-présentes dans l'oeuvre de Fischer. Elles sont la manifestation de ses émotions, de son humeur du jour.
Dans "boxer bix kabinett", des ombres réalistes sont portées aux murs. Réaliste ? Quoique. Les ombres, ressemblant à du sang factice, sont en confiture de fraise ! A la fois dramatique et comique.
Avec les deux moitiés de pomme et de poire, on peut retrouver certaines de ses principales problématiques : l'équilibre, la décomposition et surtout le mélange des deux, toutes ses oeuvres semblant balancer en permanence entre existence et destruction.
Plusieurs oeuvres du plasticien Dieter Roth.
En 1970 Dieter Roth a commencé "Gartenskulptur", une réflexion sur la collection, le délabrement et la métamorphose qu'il a développée jusqu'à sa mort en 1998. L'oeuvre a ensuite été poursuivie par son fils Björn.
Les 130 écrans de «Solo-Szenen», l’une des dernières œuvres du plasticien, montrent Diether Roth dans sa vie quotidienne (faisant la vaisselle, jouant du piano, prenant des notes...), à un moment solitaire de sa convalescence post-alcoolique.
Ses oeuvres monumentales, englobant pourtant le spectateur, me laissent assez froid, comme à l'extérieur.
Quelques paires de têtes en bronze de l'artiste Bruce Nauman.
Ses têtes décapitées sont placées à la hauteur des propres têtes des spectateurs. En guise d'avertissement ? Sans doute pour nous amener à nous demander ce qu'ils font là et pourquoi sont-ils ainsi punis.
Bruce Nauman a semble-t-il donné des surnoms à ses "paires de têtes". Julie, Andrew, Ring, une façon d'accroître le sentiment de malaise face à l'oeuvre, par une plus grande familiarité avec ses têtes qui ne sont désormais plus anonymes. La paire de droite se nomerait ainsi, "La tête de Julie avec sa langue et son nez dans le coup d'Andrew". Le sentiment d'intimité est donc extrêmement renforcé (on peut même y voir une certaine sexualité au vu du reste de l'oeuvre de Nauman) mais immédiatement contrebalancé par la position des têtes. Elles sont très proches mais dans une posture qui rend toute communication impossible. Faut-il y voir une métaphore sur les relations dans notre société ?
En tous cas, toutes les principales thématiques de son travail sont là : solitude, peur, cruauté, violence et impuissance. (Il avait précédemment réalisé des oeuvres similaires avec de monstrueux corps d'animaux mutants.)
Beaucoup d'autres oeuvres de Bruce Nauman
sont présentes dans l'exposition,
dont certains de ces fameux néons.
Deux installations de la suisse Pipilotti Rist. (comme pour tous les artistes cités, d'autres oeuvres étaient présentes)
Il parait qu'il ne faut pas seulement voir dans son travail, un manifeste féministe. J'aurais déjà été très content d'y voir ça !
A défaut, je me suis assis dans un pouf de l'installation "Extremities, soft, soft", et j'ai écouté une voix suave de femme me répéter en boucle :
"Tu es une molécule ... tu es une ecchymose ... tu es différente from me..."
Ça c'est sûr, Pipilotti, on est très "différente from you" !
Et puis, à défaut d'être extrêmement compréhensible, cette installation qui est la dernière de l'expo, est au moins ludique et reposante.